Qui collectionne et quoi ?
Il n’existe pas de statistiques sur le phénomène de collection. Selon une enquête réalisée en France en 1990, un quart des Français de plus de 15 ans déclare réaliser une collection, dont environ la moitié s’en occupe au moins une fois par mois. Les collectionneurs sont généralement assez jeunes mais cette pratique est de moins en moins caractéristique du monde des jeunes. Elle serait aussi beaucoup plus fréquente chez les hommes que chez les femmes.
Et que collectionne-t-on? De tout. Si les timbres, cartes postales et pièces de monnaie gardent la cote, l’activité de collectionner s’est fortement diversifiée en s’appliquant à de nouveaux domaines ou objets jusqu’aux plus incongrus: les jokers des cartes à jouer, les pièces d’avions militaires, le papier, les objets liés aux menstruations des femmes (sic!). En fait, tout peut se collectionner, des objets les plus anodins du quotidien (comme les coquetiers, les boîtes) aux biens les plus prestigieux et coûteux (les vins millésimés, les voitures anciennes, les œuvres d’art…).
Comment et pourquoi le collectionneur se tourne-t-il vers tel ou tel type de collection? Dans un ouvrage passionnant, Werner Muensterbergen, psychanalyste américain, apporte une réponse: “Si la motivation de la collection trouve sa source dans l’histoire de l’individu (la collection est forcément un reflet de la personnalité, des goûts, des aspirations ou de l’histoire familiale), le choix de la spécialisation de la collection est guidé par le modèle culturel prédominant, les valeurs du moment, la mode, même si ce qui a été apprécié par une génération peut ne pas simplement disparaître à la suivante”.
Un lien avec l’enfance
Tous les collectionneurs n’ont pas la même histoire et donc la même passion, le même engouement. Il n’y a donc pas de collectionneur moyen. Cependant, d’après W. Muensterberger, “les collectionneurs ont tous le sentiment d’être à part, de ne pas avoir reçu assez d’amour et d’attention durant leur enfance. A travers leurs objets, ils se sentent rassurés, enrichis et dignes d’intérêt. Les objets deviennent alors la garantie suprême contre le désespoir et la solitude. Le collectionneur, comme le croyant, attribue un pouvoir et une valeur aux objets parce que leur présence et leur possession ont une fonction réparatrice, palliative, protectrice face à l’anxiété et l’incertitude”. Il s’agit ici d’une théorie psychanalytique, et tout le monde n’y adhérera pas. Mais W. Muensterberger l’a élaborée sur base des récits de vie, écrits et confidences de collectionneurs. A partir de l’observation des enfants, il explique par ailleurs que les tout-petits cherchent des solutions pour faire face à la peur de la solitude ou au sentiment de manque lié à l’absence de la mère. Ils prennent souvent un objet tangible comme substitut: une tétine, un doudou, une peluche… pour trouver une consolation, une protection magique. Selon le psychanalyste, le collectionneur retrouverait, dans chacune de ses acquisitions, le pouvoir de l’objet transitionnel de la petite enfance.
Si l’on y réfléchit bien, les collectionneurs ne disent-ils pas eux-mêmes qu’il faut avoir une âme d’enfant pour collectionner ? C’est en effet entre 7 et 12 ans qu’apparaissent les premiers désirs de collection. Ils correspondent au besoin de rationaliser et de classer les éléments du monde extérieur pour en prendre intellectuellement possession. C’est aussi le premier moyen de se mesurer au monde des adultes. En principe, à la puberté, ces tendances disparaissent. Mais si elles continuent de se manifester à l’âge adulte, c’est avec un élément supplémentaire: la passion. De nombreux adultes collectionneurs ont d’ailleurs commencé leur collection quand ils étaient jeunes.
Du traitement à la pathologie
“Le “collectionnisme” n’est ni un comportement pathologique ni une maladie. On peut même dire que c’est un traitement en soi ! La preuve en est que bien des collectionneurs sont déprimés lorsqu’ils ont terminé une collection. Mais il leur suffit d’en commencer une nouvelle, et la dépression disparaît…”, explique le psychiatre Robert Neuburger.
“Très rares sont les collectionneurs qui s’estiment enfermés dans un carcan d’objets divers qui se multiplient à l’infini. La grande majorité d’entre eux se sent libre et heureuse”, assure l’ethnologue Claude Frère-Michelat, cité par le journaliste Erik Pigani, qui a consacré un article aux collectionneurs dans la revue Psychologies. “Ils sont fiers de leur passion, de connaître à fond leur sujet, de faire œuvre de protection d’un patrimoine culturel”. Ce qui confirmerait l’hypothèse de la valorisation narcissique. Mais que penser de ceux qui rendent la vie de leurs proches insupportable, s’endettent ou consacrent tout leur temps à leur collection ? “Leur comportement devient dangereux lorsque la collection-traitement a dépassé son but, poursuit Robert Neuburger. L’aspect passionnel prend le dessus, et ils perdent toute notion de réalité. Ce sont des cas rares, bien sûr. Quant aux collectionneurs “normaux”, même s’ils ne souffrent pas d’une maladie, ils ne guérissent pas du “collectionnisme”. C’est une véritable dépendance. Un peu comme l’alcoolisme ou le jeu. A la différence que cette assuétude est plutôt sympathique”. |